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Et, devant ce mur — qui sans doute enferme encore l'idole terrible et peut-être la conserve aussi intacte qu'une momie dans son sarcophage —, un Bouddha très gigantesque, dominateur et doux, est venu depuis des siècles s'asseoir, croisant les jambes et fermant à demi ses yeux baissés ; depuis tant de siècles que les araignées l'ont patiemment drapé de mousselines noires pour éteindre ses dorures et que les chauves-souris ont eu le temps d'amonceler sur lui leur fiente en épais manteau. La peuplade des horribles petites bêtes somnolentes forme à cette heure au-dessus de son front comme un dais capitonné de peluche brune, et la pluie, qui s'obstine à ruisseler dehors, lui joue sa plaintive musique de chaque jour. Mais son visage penché, que je distingue malgré l'ombre, conserve ce même sourire qui se retrouve sur toutes les images de Lui, depuis le Tibet jusqu'à la Chine : le sourire de la Grande Paix, obtenue par le Grand Renoncement et la Grande Pitié.

Pierre LotiAngkor
Éditions Magellan, 1912

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