All posts by Romuald

#88

En attendant mon fils à son cours de clarinette, je gravis les escaliers de l'école de musique pour capturer un morceau de ce temps, sur les deux étages de la vieille bâtisse, où mes pas grincent sur le grand escalier de bois. Chants d'enfants, piano, envols d'instruments dans une fête galante qui met de la joie au cœur, un bonsoir poli, les mots de ma prof de guitare, bruits de tables et de chaises qu'on déplace, cours de solfège... Comme un monde irréel à portée de main mais qui sonne comme dans un rêve...

[3'06'']

[audio:Ecole_de_musique_1.mp3]

#87

Jour de gros temps sur Cergy, j'arrive au travail sous une pluie épaisse qui s'écrase sur les feuilles des catalpas avant de retomber avec fracas sur le pare-brise et la tôle de la voiture. Un temps à écouter les gymnopédies de Satie... Concert de notes en goutte majeure...

[0'40'']

[audio:Pluie_dans_la_voiture.mp3]

#86

Souvenir d'une belle journée mémorable et un peu froide à Paris, en attendant sur la place des Vosges. J'avais tellement froid que je suis resté longtemps sous les arcades, en plein soleil pour sentir le sang couler à nouveau dans mes pieds. Près d'une des fontaines où l'eau coulait dans le vent, je suis resté quelques instants (et je fais des vers...).

[0'50'']

[audio:Place des Vosges.mp3]

#85

L'existence d'une Chinatown à Singapour est assez saugrenue pour une ville composée très majoritairement de Chinois (76,8%). Traduire : une Ville chinoise au milieu d'une ville chinoise est un quartier chinois où l'on peut se croire en Chine ancienne avec des rues étroites, piétonnes et commerçantes, des maisons colorées, des temples surmontés de dragons bienveillants et de lanternes, plus loin des brochettes qui pendouillent. Nettement plus vivant qu'un parc d'attractions !  A côté, la ville est également chinoise, mais sans le décor. On se croit nulle part, un nulle part chic. Cependant, sans les avoir ouvertes, je parie que les têtes sont en matière chinoise : utilitaire, flexible et obstinée.

Olivier Germain-Thomas, Manger le vent à Borobudur
Gallimard, le sentiment géographique, 2013

#83

J'ai poussé la porte de monastères bouddhiques (theravâda, vajrayâna, zen, shingon), hindous, une fois shintô. On dirait une collection ! Si le désir de connaissance joue son rôle, je me suis donné comme règle de ne jamais entrer mû seulement par la curiosité. Aucun acte de foi, mais un cœur accueillant. Surtout, l'espoir d'atteindre dans le for intérieur l'espace commun où le partage est possible.

Olivier Germain-Thomas, Manger le vent à Borobudur
Gallimard, le sentiment géographique, 2013

#82

Très vite, un évidence : ici, en ce matin de février à Parangtritis, nous vivons un état qui pourrait être l'état naturel de nos existences, et qui s'échappe plus vite que le furet. Cet état ne pousse pas aux interrogations sur sa nature ; il fait la nique à la mort ; renvoie le passé dans les franges. Certains s'en éloignent pour des mirages ; certains ne le supportent pas chez les autres ; certains en ont peur ; l'appellent tandis qu'ils le fuient ; ignorent son existence ; le méprisent comme une faiblesse ; ne le découvrent qu'après l'avoir perdu. Il n'a jamais été une « idée neuve », lui qui a l'âge de l'humanité ; il va et vient sans prévenir ; il est parfois si transparent que seul son départ prouve qu'il était venu ; il est moqué par les névrosés, enrôlé par les démagogues. Il serait prudent de ne pas le nommer. Je le nomme : le bonheur.

Olivier Germain-Thomas, Manger le vent à Borobudur
Gallimard, le sentiment géographique, 2013

#80

Au négociant le porche sur la mer, et le toit au faiseur d'almanachs !... Mais pour un autre le voilier au fond des criques de vin noir, et cette odeur ! et cette odeur avide de bois mort, qui fait songer aux taches du Soleil, aux astronomes, à la mort...

— Ce navire est à nous et mon enfance n'a sa fin.
J'ai vu bien des poissons qu'on m'enseigne à nommer. J'ai vu bien d'autres choses, qu'on ne voit qu'en pleine Eau ; et d'autres qui sont mortes ; et d'autres qui sont feintes... Et ni
les paons de Salomon, ni la fleur peinte au baudrier des Ras, ni l'ocelot nourri de viande humaine, devant les dieux de cuivre, par Montezuma
ne passent en couleurs
ce poisson buissonneux hissé par-dessus bord pour amuser ma mère qui est jeune et qui bâille.

... Des arbres pourrissaient au fond des criques de vin noir.

Saint-John PerseÉloges, VIII
Pléiade, 1911

#79

Azur ! nos bêtes sont bondées d'un cri !
Je m'éveille, songeant au fruit noir de l'Anibe dans sa cupule verruqueuse et tronquée... Ah bien ! les crabes ont dévoré tout un arbre à fruits mous. Un autre est plein de cicatrices, ses fleurs poussaient, succulentes, au tronc. Et un autre, on ne peut le toucher de la main, comme on prend à témoin, sans qu'il pleuve aussitôt de ces mouches, couleurs!... Les fourmis courent en deux sens. Des femmes rient toutes seules dans les abutilons, ces fleurs jaunes-tachées-de-noir-pourpre-à-la-base que l'on emploie dans la diarrhée des bêtes à cornes... Et le sexe sent bon. La sueur s'ouvre un chemin frais. Un homme seul mettait son nez dans le pli de son bras. Ces rives gonflent, s'écroulent sous des couches d’insectes aux noces saugrenues. La rame a bourgeonné dans la main du rameur. Un chien vivant au bout d'un croc est le meilleur appât pour le requin...
— Je m'éveille songeant au fruit noir de l'Anibe ; à des fleurs en paquets sous l'aisselle des feuilles.

Saint-John PerseÉloges, IV
Pléiade, 1911