Après cette longue attente, (son séjour à Batavia date de deux ans !) Poivre prend à peine le temps d'aller saluer sa famille à Lyon, d'expliquer, en brandissant son moignon, qu'il ne pourra plus jamais être prêtre, de raconter la Chine à quelque neveu né pendant son absence : il piaffe, son grand projet mijote depuis trop longtemps dans sa tête. Et si un autre, un de ces marchands imaginatifs qu'il a rencontrés là-bas, un Friell par exemple, lui avait soufflé « son idée » sous le nez ?
Il s'agite, il court de Lyon à Paris, de Paris à Lyon, promène sa redingote élimée de salon en antichambre. Il écrit et il parle, beaucoup, décrivant à grands gestes, sous le nez des fonctionnaires médusés, les tas d'épices de Batavia, la richesse de l'Orient.
De cet Orient dont il est malade : à peine en est-il revenu qu'il veut déjà repartir...
Daniel Vaxelaire, Les chasseurs d'épices
Éditions Jean-Claude Lattès, 1990