Le visage qui se montra par la brèche était d'une maigreur cadavérique. La peau inerte, grise et sèche, s'appliquait exactement au squelette crânien. Les yeux n'étaient que des trous obscurs. L'homme secoua vivement sa tête de mort pour signifier qu'il nous refusait l'entrée. Mais le Thibétain n'eut qu'à lui chuchoter quelques paroles et aussitôt l'effrayant visage eut un sourire spectral de déférence et d'empressement. La porte recula un peu, juste de quoi nous laisser glisser à l'intérieur et se rabattit aussitôt comme une trappe. L'odeur qui m'imprégna d'un seul coup jusqu'à la moelle était chargée en même temps des pires relents que peuvent dispenser les corps humains mal tenus et de l'arôme profond, riche et suave de l'opium. Nous étions dans une fumerie. Et de l'espèce la plus sordide.
Joseph Kessel, La vallée des rubis
Gallimard, 1955