Maintenant, j'arrive à peine à lire ce que j'ai écrit là-haut. La moitié des phrases notées dans mon calepin tremblent tellement qu'elles sont indéchiffrables. Mais voilà ce qu'elles disent en substance, je crois :
« Je ne sais pas où j'en suis. Dans des écuries, peut-être, ou une maison de garde. Une arcade enjambe la crevasse, là où s'élevaient jadis un bastion. Le passage auquel il menait s'est effondré. Une salle, au-dessus, s'est retrouvée à ciel ouvert. Je marche délicatement, de peur de tomber. Tous les plafonds sont carbonisés. Je me rappelle le contact lisse de mes mains quelque part, sur une longue citerne construite avec du mortier. Ensuite, j'avance à tâtons dans un couloir d'une quinzaine de mètres, taillé dans la roche, qui débouche sous une haute voûte. Je n'ai pas de torche, je ne peux pas continuer plus loin. Je m'assieds, épuisé, à l'entrée de la grotte qui domine la vallée, contemplant les traces d'un stuc qui s'écaille près du seuil. Je me sens léger, bizarre. Les taches de suie sont encore bien visibles ici. Je pense à Rukn-ad-din et sa famille, se hâtant dans ces boyaux pour rejoindre un escalier perdu, en route vers la reddition et la mort. Je calme mes nerfs avant d'entreprendre ma propre descente. Des oiseaux volettent et pépient dans les fissures, et un invisible soleil brille à travers les nuages d'orage qui flottent sur d'autres montagnes.
Colin Thubron, L’ombre de la route de la soie
Traduit de l’anglais par Katia Holmes
Gallimard, 2006