Le Walhalla s'était écroulé, entraînant dans sa ruine les palais wilhelmiens où, parmi des blocs énormes gisaient, déjetés et brisés, atlantes et cariatides.
Je ne cessais de parcourir Berlin, à pied ou en voiture, de jour et de nuit. Une nuit que nous roulions au hasard, une femme soudain apparut devant nos phares. Je dis à Rudy, mon chauffeur, de s'arrêter. La femme, d'une trentaine d'années, grande, brune, fardée, monta, s'assit près de moi et nous nous embrassâmes comme deux amants perdus qui se retrouvent après le naufrage du Titanic. Elle guida Rudy dans la nuit jusqu'à un immeuble éventré, ayant perdu deux ou trois étages, et me conduisit dans un escalier branlant jusqu'à une chambre. Les « Ja ja » terrifiants et sublimes qu'elle hurlait me firent sombrer dans sa volupté. Nous ne nous revîmes jamais. Ce genre de rencontres, me dit-on, n'était alors pas rare.
Edgar Morin, Mes Berlin, 1945-2013
Cherche-Midi, 2013
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