Monthly Archives: October 2013

#31

L'humidité de l'air, au bord du lac Xolotlán, l'odeur un peu poisseuse de l'eau, et celle du porc qui grésille sur les braseros des gargotes : rien n'avait dépaysé les milliers de Cubains qui s'étaient promenés ici en vainqueurs, pendant les dix années de la révolution sandiniste, dans leur uniforme vert olive — même si, pour les vrais Havanais, Managua devait paraître un peu plouc et provinciale, sans les tours flamboyantes des grands hôtels Art déco couleurs pastels du Vedado, ni les splendeurs passées des villas blanches de Miramar, aux colonnes enroulées de philodendrons, en train de moisir au fond des parcs, sans les pavés de bois de la place d'Armes, ni les grues, ni les tankers du port de la Havane.

Patrick Deville, Pura vida, vie et mort de William Walker
Seuil, 2004

#30

De singuliers visages se découvrent au miroir des guerres. Est-ce nous-mêmes qui changeons, ou le monde, lorsque la passion se retire, comme la mer, de l'acte passionné qui nous opposa à lui ? [...] Comprendre ne permet point toutes les démences. Et cependant, quels sacrifices, quels héroïsmes injustifiés dorment en nous...

André Malraux, La tentation de l’occident
Pléiade, 1926

#28

In Asia 2012 : Le récit circonstancié d'un jeune couple parti en Asie pour 6 mois ; trajet, galères, photos, budget, tout y est. Un bel objet.

#27

Une pluie chaude, pesante, torrentielle, se déverse de nuages plombés, inonde les arbres et les rues d'une ville coloniale qui sent le musc et l'opium. Des Annamites, des Chinois demi-nus circulent empressés, à côté de soldats de chez nous qui ont la figure pâlie sous le casque de liège. Un mauvaise chaleur mouillée oppresse les poitrines ; l'air semble la vapeur de quelque chaudière où seraient mêlés des parfums et des pourritures.
Et c'est Saigon, une ville que je ne devais jamais voir, et dont le seul nom jadis me paraissait lugubre, parce que mon frère (mon aîné de quinze ans) était allé, comme tant d'autres de sa génération, y prendre les germes de la mort.

Pierre Loti, Angkor
Éditions Magellan, 1912

#26

L'adoption de l'alphabet réintroduit l'écriture dans un monde qui l'avait désapprise. Et une écriture cette fois à la portée de tous, non plus seulement un outil de commandement, mais un accélérateur des échanges, un instrument de publicité et souvent aussi de désacralisation. La loi secrète, grâce à elle, devient publique : le changement est énorme. Et la littérature commence à jouer son rôle, énorme lui aussi.

Fernand Braudel, Les mémoires de la Méditerranée
Livre de Poche, Collection Références
Éditions de Fallois 1998

#23

Ce serait sans doute aller trop loin que de reconnaître, dans ce goût japonais pour la discrimination, une sorte d'équivalent des règles formulées par Descartes et qui fondent sa méthode : « diviser chaque difficulté en autant de parcelles qu'il serait requis pour la mieux résoudre », « faire des dénombrements si entiers qu'on fût assuré de ne rien omettre ». Plutôt que d'un cartésianisme conceptuel, je créditerais le Japon d'un cartésianisme sensible, ou esthétique.

Claude Lévi-Strauss, Place de la culture japonaise dans le monde
9 mars 1988, Kyoto
in L’autre face de la lune, écrits sur le Japon
Seuil, 2011, collection La librairie du XXIè siècle.

#22

En reconnaissant une essence spirituelle à tous les êtres de l'univers, elle unit nature et surnature, le monde des hommes et celui des animaux et des plantes, et même la matière et la vie.

Claude Lévi-Strauss, Place de la culture japonaise dans le monde
9 mars 1988, Kyoto
in L’autre face de la lune, écrits sur le Japon
Seuil, 2011, collection La librairie du XXIè siècle.